Comment des minorités agissantes instrumentalisent la démocratie communale

Les ONG ont de plus en plus recours à la motion, soumise au vote des conseillers communaux, espérant ainsi faire entendre largement leur voix... Mais une telle pratique nuit à l’intérêt local du citoyen.

Une pratique est aujourd’hui en recrudescence dans les conseils communaux : l’adoption de motions qui n’ont aucun rapport direct avec l’intérêt communal. On le voit, par exemple, avec toutes les villes et communes qui se sont déclarées « hors TTIP » ou « hors CETA ». Entendons-nous : nous ne trouvons, bien entendu, rien à redire aux mécanismes légitimes, souhaitables et salutaires de la démocratie communale : les motions d’intérêt purement communal, les interpellations citoyennes et les motions de méfiance constructives consacrées notamment dans le Code de la Démocratie Locale.
La motion est une déclaration d’intention dénuée d’effets juridiques. En soi, son principe est sympathique car c’est une sorte de lettre ouverte qui permet au conseil communal, noyau par excellence de la démocratie, de faire entendre publiquement ses préoccupations et ses attentes à l’adresse d’une ou plusieurs autorités supérieures dans l’organigramme de l’Etat voire à des autorités internationales.

Le « prêt-à-voter »

Malheureusement, cette pratique est aujourd’hui de plus en plus instrumentalisée par des ONG, mouvements et autres collectifs altermondialistes qui, la détournant de sa finalité citoyenne, s’en servent comme caisse de résonance pour diffuser leurs idées et faire avancer leurs objectifs politiques.
Les motions que nous dénonçons obéissent généralement à un même canevas. Leurs véritables auteurs n’apparaissent évidemment pas dans le texte. Elles ne sont pas rédigées par des citoyens ou mandataires de la commune mais par le service d’études d’une grosse ONG (ou d’un groupement d’ONG) voire, parfois, le bureau d’étude de tel ou tel parti. La meilleure preuve, c’est qu’un texte identique, ou une variante, est souvent débattu à quelques mois d’intervalles dans des dizaines de communes en Belgique. Parfois même, ces motions sont discutées, amendées et adoptées simultanément dans plusieurs pays, voire dans plusieurs continents. Sur leur site, certaines ONG proposent d’ailleurs carrément de télécharger un texte prêt à l’emploi. Ces ONG ont inventé le « prêt-à-voter ».
La motion idéologique porte de préférence sur des sujets importants et de nature délibérément technique : les OGM, COP21, la fermeture de centrales atomiques, la disparition des abeilles, le glyphosate, la question israélo-palestinienne, le TTIP, le CETA, etc. On perçoit bien de quel bord politique émanent ces doléances d’apparence « citoyenne ». Bizarrement, on ne dépose jamais de motions pour améliorer le statut des entrepreneurs, diminuer la pression fiscale, rationaliser les organismes publics, flexibiliser le temps de travail ou supprimer la télé redevance. C’est d’ailleurs une bonne chose car ce ne sont pas des matières d’intérêt communal.
Les demandes formulées dans les motions sont étayées par une liste assez longue d’attendus anxiogènes voire catastrophistes destinés à interpeller, effrayer voire intimider les membres les plus rétifs du conseil communal à propos de dangers réels ou imaginaires mais toujours présentés de manière unilatérale et à charge.
Ces motions, brandies généreusement au nom de la « démocratie », appellent à lutter contre les groupes de pression et à « résister » aux forces de l’argent alors qu’elles sont elles-mêmes rédigées par des groupes de pression qui manipulent l’opinion publique et qui colonisent le processus démocratique et citoyen de la vie politique communale. C’est un danger auquel la démocratie représentative est exposée depuis ses origines : celui des minorités actives ou agissantes qui, bien organisées, peuvent instrumentaliser avec succès le processus démocratique.


Des conseillers insuffisamment outillés

Ces textes sont délibérément orientés car ils présentent des faits, parfois exacts, parfois inexacts, parfois avérés, parfois mensongers mais toujours lacunaires et sortis de leur contexte. C’est évidemment le cas de la plupart des textes déposés dans une assemblée parlementaire. A ceci près qu’un conseil communal n’est pas outillé pour permettre aux conseillers communaux de se forger une conception personnelle en connaissance de cause. Faute de mécanismes correcteurs à cet échelon, des idées, souvent issues d’une frange extrémiste de la gauche peuvent, ainsi présentées, se diffuser allègrement dans la population.
En effet, les conseils communaux ne sont pas l’enceinte idéale pour débattre utilement de ces questions. Non pas parce que les conseillers communaux seraient inaptes à se forger un jugement éclairé sur ces dernières. Mais parce qu’ils n’ont ni le temps, ni les ressources, ni la logistique nécessaires à ces délibérations. De tels débats se tiennent ordinairement dans des assemblées parlementaires qui, elles, sont mieux équipées pour débattre de questions aussi complexes. En effet, l’infrastructure parlementaire permet d’auditionner de manière contradictoire des experts, des professeurs d’université, des spécialistes, des responsables, des praticiens. Elle permet de s’appuyer sur l’indispensable travail de recherche et de réflexion des collaborateurs parlementaires, des conseillers de cabinet et de centres d’étude. Pour y voir clair dans de tels débats, il faut généralement posséder des compétences pointues, lire de nombreux rapports, se tenir au courant des débats et des publications récentes dans la littérature internationale, etc. Toutes choses qu’il est évidemment impossible de reproduire dans un conseil communal où, le plus souvent, la motion figure comme un simple point parmi tant d’autres de l’ordre du jour…
Mais – nous dira-t-on peut-être – les conseillers communaux sont assez grands pour se défendre eux-mêmes. Pourquoi ces derniers acceptent-ils de débattre de ces points qui ne sont pas de leur compétence ? Pourquoi ces motions sont-elles votées aussi facilement ou moyennant des amendements plus symboliques que substantiels ?

Visibilité médiatique

Pour une raison bien précise, une raison très bien comprise par ceux qui instrumentalisent cette procédure. Celle-ci : paradoxalement, ces motions permettent souvent de créer du consensus au sein d’un conseil communal. Parfois, évidemment, ces textes sont ispo facto rejetés. Parfois les majorités se déchirent sur de tels textes alors adoptés par des majorités alternatives. Mais, paradoxalement, il arrive régulièrement que ces textes soient adoptés massivement. Pour quelle raison ? Contrairement à ce que l’on croit parfois, les conseils communaux sont parfois le théâtre de féroces affrontements. Il arrive que les membres s’étripent sur des questions très concrètes. A cette occasion, les attaques ad hominem et autres noms d’oiseaux ne sont pas rares. Les motions qui, par contre, traitent de questions beaucoup plus abstraites et dont les enjeux sont très éloignés des urgences quotidiennes, apparaissent le plus souvent comme l’occasion de raccommoder les gens et de réaffirmer l’attachement à des valeurs communes. Dans un élan confraternel, les mêmes personnes qui, dans une assemblée compétente, refuseraient de voter en faveur d’un pareil texte, seront, dans un cadre où la portée dudit texte est purement symbolique, enclines à l’adopter « pour faire plaisir » et parce que « cela ne mange pas de pain ». On accepte de défendre une position impopulaire quand y a un enjeu important. S’il n’y en a pas, cela n’a pas beaucoup d’intérêt car personne n’aime être catalogué comme ennemi de la nature et des générations futures. Par ailleurs, de telles motions confèrent une visibilité médiatique à la majorité qui les vote.

Effet papillon

Le problème, c’est que l’addition de ces petites complaisances, la multiplication de ces micro-lâchetés débouche, par effet cumulatif, au fait que des motions soient votées par des dizaines et des dizaines de villes et de communes. Dès lors, cette réalité intimidera le véritable législateur appelé à trancher de ces questions. Pourquoi, leur dira-t-on, refusez-vous d’entendre l’appel de la base ? C’est probablement l’un des facteurs d’explication du vote anti-Ceta au Parlement wallon.

En fait, il s’agit d’une stratégie classique de lobbyiste mais le coup de génie est de l’avoir appliquée à grande échelle au niveau beaucoup plus vulnérable de conseils communaux. C’est à la fois beaucoup plus efficace et beaucoup plus pernicieux qu’une pétition. Ce n’est plus l’expression populaire d’une protestation mais le piratage d’un outil citoyen avec le double but de désinformer la population et d’intimider les échelons décisionnels situés plus haut.

Avec tout le respect que nous avons pour le pouvoir local, est-ce vraiment au sein d’un conseil communal qu’il convient de tenir un débat sur les effets bénéfiques ou non de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, sur la pertinence de la parité Dollar-Or ou sur l’hypothétique entrée de l’Allemagne au Conseil de sécurité des Nations Unies ? Est-ce vraiment le rôle du conseil communal d’exercer une magistrature morale sur la marche du monde et de se prononcer sur les grands enjeux internationaux ? N’attend-on pas plutôt de tous ces hommes et de ces femmes qu’ils consacrent leur temps et leur énergie à l’exercice des missions importantes pour lesquelles on les a élus, c’est-à-dire la réactivité face aux problèmes de leurs administrés et la gestion efficace et diligente des dossiers communaux ?

Il appartient aux assemblées communales de se montrer vigilantes face à des motions de ce type. Elles ne doivent plus accepter de se faire instrumentaliser par des minorités d’extrême gauche. Il est de leur devoir, pensons-nous, de rejeter d’emblée les textes qui n’ont rien à voir avec l’intérêt communal. Ce que font déjà, fort heureusement, de nombreuses communes. A contrario, il importe évidemment de donner toute leur place aux salutaires interpellations citoyennes et aux motions à caractère essentiellement local.

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